Around 3:59 présentée à la galerie Art Mur Montréal, Canada.

Vers 3h59, les aiguilles d’une horloge ont presque fait le tour du cadran. Elles tracent les 360 degrés d’un cercle et les 60 minutes d’une heure, mais elles n’ont pas complété leur trajet. Tout comme les aiguilles de l’horloge, sommes-nous condamnés à répéter les mêmes mouvements ? Pouvons-nous altérer les cycles qui se répètent d’une génération à l’autre et donnent le sentiment d’un éternel recommencement ?

Avec Around 3: 59, Patrick Bérubé nous invite dans un environnement à la fois étrange et familier. À l’entrée de l’exposition, un nuage qui rappelle une enseigne néon semble flotter au-dessus de nos têtes. Est-ce que ce nuage représente le « Cloud » du « Cloud computing, » cette méthode de distribution informatique dématérialisée ? Ce lieu de stockage insaisissable s’est-il matérialisé en icône lumineuse ?

Sur le nuage est inscrit le nom du géant Goliath, personnage biblique et champion des Philistins dont la tête fut tranchée par le jeune David. Le duel légendaire entre le berger et le géant est un thème iconographique qui traverse l’histoire de l’art et symbolise un affrontement inégal. Dans l’univers de Bérubé, le géant Goliath donne son nom à une entreprise multinationale que l’on reconnaît par son logo en forme de diamant. La marque du géant Goliath est toujours sous nos yeux sous forme d’objets publicitaires. Le stylo à bille promotionnel, outil de marketing de premier ordre, dissémine le logo de l’entreprise à travers l’exposition : les têtes des stylos se transforment en épines de rosiers et les cartouches d’encre deviennent le jet d’eau d’un arrosoir placé sur un tapis persan qui semble usé par le temps. Comme un jet d’eau qui arrose une pelouse, l’encre coule sur une toile derrière l’arrosoir. L’entreprise Goliath a pris possession de ces gouttelettes qui tombent des nuages, arrosent nos jardins et nos pelouses et deviennent les boissons que l’on consomme. Dans l’environnement poreux de Bérubé, une fuite d’eau coule du plafond. La fluidité du liquide, de la lumière, et du son imbibe l’installation.

D’emblée, nous avons l’impression d’entrer dans un bar ou dans un cabaret. Des lumières colorées dansent dans l’obscurité et un rideau scintillant plutôt kitsch brille au fond de la pièce. Trois microphones se font face sur une petite scène et tournent doucement sous un éclairage rose. Ils sont placés de manière à interdire l’accès, rendant la communication impossible à l’extérieur du réseau clos. Des verres à shooter colorés sont disposés sur une grande étagère et forment une cible, tandis que des gobelets rouges sont empilés de manière à évoquer la colonne sans fin de Brancusi. Bien que plusieurs aspects de l’installation de Bérubé puissent sembler loufoques, quelque chose de sinistre habite ce lieu de plaisir et de divertissement.

Bérubé nous invite à suivre notre curiosité et à pénétrer dans des espaces privés. Un passage secret nous mène dans une salle de conférence, un lieu de prise de décision. Sur la table de la salle de réunion (une ancienne allée de bowling), nous apercevons la tête en béton du jeune David, l’adversaire du géant Goliath. Des images abstraites encadrées décorent la pièce et font écho aux toiles suprématistes de Malevitch. Les compositions colorées sont des images qui ne se sont pas téléchargées sur Internet de la série Not loaded google images on iPhone. Elles évoquent les limites de la représentation et l’impossibilité de transmettre un message, mais réfèrent aussi aux images imperceptibles qui circulent dans les courants abstraits et immatériels de nos réseaux de télécommunications. Un second passage nous mène vers une salle avec un bureau et un ordinateur en béton qui semble être le bureau du patron de l’entreprise Goliath.

Un papillon enfermé dans une lanterne suggère l’impossibilité d’échapper aux cercles vicieux qui régularisent l’ère contemporaine. Dans l’univers à la fois humoristique et sinistre de Bérubé, chaque pièce est un monde, mais ces mondes sont unis par l’entreprise Goliath, ce nuage qui flotte au-dessus de nos têtes.

Texte : Isabelle Lynch